Charles H. TOWNES - Médaille de l'ADION 1994
La médaille de l'ADION, fondée par Jean-Claude Pecker en 1962, honore chaque année une personnalité scientifique de notoriété mondiale, dont les contributions ont marqué de façon importante les recherches développées à l'Observatoire de la Côte d'Azur.
Monsieur Charles H. TOWNES, Professeur émérite à l'Université de Berkeley, a reçu le jeudi 29 juin 1995 à l'Observatoire de Nice, la médaille 1994 de l'ADION.
Le Professeur Charles H. Townes a 80 ans. Il a reçu
le Prix Nobel de Physique en 1964 pour sa découverte des masers
et des lasers. L'Observatoire de la Côte d'Azur les utilise pour
la réalisation d'horloges ultrastables, des mesures de distances
à la précision nanométrique, la formation d'échos
laser sur satellites et sur la Lune pour des études en géodésie
spatiale et en mécanique céleste.
Mais, ce sont ses travaux en interférométrie qui ont très fortement marqué les recherches menées à l'Observatoire. Motivé par l'étude des nuages moléculaires, Townes inventa un interféromètre pour la synthèse d'ouverture en infra-rouge en s'appuyant sur une technique bien maitrisée en radioastronomie: l'hétérodynage. Les travaux concommitants entrepris dans un centre de recherche (CERGA- Grasse), faisant maintenant partie de l'Observatoire, en haute résolution angulaire, tant en infra-rouge qu'en visible ont abouti à une coopération qui, dans le cadre de l'accord ``France-Berkeley'', a commencé en 1985 et se poursuit toujours par des collaborations fructueuses sur l'étude des nuages circumstellaires des étoiles évoluées.
Nommé professeur à l'Université de Columbia en 1948, il est de 1961 à 1967 au Massachussets Institute of Technology dont il devient le ``Provost''. Depuis 1967, il est professeur à l'Université de Berkeley où il prend une retraite active en 1990, continuant à animer la recherche comme professeur émérite. Membre de l'Académie Pontificale et de l'Optical Society of America, il vient d'être nommé Docteur Honoris Causa de l'Ecole Normale Supérieure de Paris.
Le Professeur Townes a réalisé une synthèse exemplaire de la physique et de l'astronomie. Son livre ``Microwave Spectroscopy'' édité en 1955 en collaboration avec A.L. Schawlow, reste encore un ouvrage de référence en spectroscopie moléculaire radioastronomique.
La médaille lui a été remise par Monsieur
José A. de Freitas Pacheco, directeur de l'OCA, en présence
de tout le personnel de l'Observatoire de la Côte d'Azur et en particulier
de tous les collègues de l'association France-Berkeley. Monsieur
Jean GAY qui a eu la joie d'effectuer un long séjour de travail,
avec le Professeur Townes à Berkeley, a eu l'honneur de prononcer
le discours d'éloges au lauréat.(ce discours est joint ci-dessous).
Monsieur Townes a présenté ses travaux récents en interférométrie dans une conférence intitulée:
``Spatial Interferometry for Asronomy at Mid-infrared
Wavelengths''
Un buffet offert par l'ADION a chaleureusement clos cette
manifestation.
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HOMMAGE A Charles Hard TOWNES.
par
Jean GAY
Astronome à l'Observatoire de la Côte d'Azur
(Association France-Berkeley)
Cher Professeur Townes,
Mon expérience est trop courte pour évoquer avec exactitude votre longue collaboration avec la recherche francaise. Quand dans les années 50 vous fréquentiez le laboratoire du professeur Alfred Kastler à l'Ecole Normale Supérieure de la rue d'Ulm je n'étais encore qu'un galopin des banlieues, qui ne traverserait cette même institution, comme auditeur muet, que quelques années plus tard. On y admirait alors ce curieux rayon laser que vous veniez d'inventer après avoir découvert l'effet maser qui fait encore la joie des radioastronomes. La connivence de nos épouses m'a appris qu'à cette époque de reconstruction de l'Europe, notre seule expérience commune était la crise du logement.
Telles les dames de la cour du roi Louis XIV qui se réjouissaient
que le Père Mersenne fit si joliment danser la garde avec une décharge
électrique tout en se demandant à quoi pourrait bien servir
un jour ce fluide étrange, nos ignorances perplexes cherchaient
quelles curieuses applications pourraient profiter de vos énigmatiques
rayonnements. Est-ce James Bond qui trouva la première application
en dehors des laboratoires de physique? Toujours est-il qu'il n'y a plus
de domaine dans lequel ces photons, que vous avez contraints de marcher
en cadence, n'aient à intervenir: découpe des tissus chez
les couturiers, mesures de la distance Terre-Lune, télécommunications
, spectacles sons et lumière, musique numérique, métrologie,
chirurgie, travaux publics, ondes gravitationnelles...; on laisse ouverte
la liste que chacun est en mesure de prolonger au gré de ses expériences....
Cela méritait bien un prix Nobel que vous partagiez en famille mais
aussi à travers ce qui était alors le rideau de fer.
La spectroscopie micro-onde dans laquelle vous excelliez
et qui soutenait vos travaux de laboratoire profita en retour de l'instrument
que vous aviez créé. Ainsi, les radioastronomes ont-ils été
en mesure, sous votre impulsion pionnière, de décrypter la
composition chimique des nuages moléculaires où prennent
naissance les étoiles. Votre collaboration aux travaux de nos collègues
radioastronomes, tant parisiens que grenoblois, a élargi notre connaissance
de la matière dans tous ses états. Les molécules organiques
qui furent ainsi découvertes dans ces espaces où rien ne
laissait prévoir leur formation, sont devenues des révélateurs
d'ambiance de ces régions inaccessibles et souvent cachées
aux yeux des astronomes du domaine visible. Parmi les surprises que révéla
cette analyse on retiendra la découverte de l'éthanol que
l'astrophysicien russe Schlowsky, grand connaisseur de vodka, attendait
comme preuve de la vie extraterrestre.
Ces traceurs moléculaires vous ont révélé
la ronde infernale de la matière autour du centre de notre galaxie.
Quand je fréquentais votre laboratoire voilà bientot dix
ans, votre équipe réunissait une convergence de preuves établissant
l'existence d'un gigantesque trou noir en ce pôle énigmatique
que la poussière cache à nos yeux. L'affaire était
sérieuse! qu'il se passe des catastrophes énergétiques
dans les lointains quasars, voilà qui nous intéresse, certes.
Mais introduire un monstre dévorant dans notre proche environnement,
disons à 30000 années lumière, voilà qui pourrait
faire effondrer la bourse à New York et Tokyo. La question n'a pas
vraiment divisé l'astronomie, comme ce fut le cas au siècle
dernier pour la génération spontanée, mais on trouve
les tenants d'un "petit" trou noir de 100 masses solaires qui
s'opposent aux promoteurs, dont vous êtes, d'un attracteur fort de
plusieurs millions de soleils engloutis. A-t'on enfin trouvé la
source d'énergie qui alimente quasars et galaxies actives? Alors,
pourquoi la nôtre équipée d'un coeur qui pourrait être
dévorant est- elle si calme? Est-ce manque d'appétit ou manque
d'étoiles à avaler? Il y faut regarder de plus près.
Or, seule la haute résolution angulaire est en mesure
de nous révéler les fins détails de régions
aussi lointaines et confinées. Que ce soit en vue de percer le mystère
du centre galactique ou simplement de sonder les étoiles géantes,
rouges et froides qui se cachent au sein d'un cocon de poussière
qu'elles émettent en leurs derniers instants, vous avez développé
un interféromètre à deux télescopes fonctionnant
dans l'infrarouge sur le même principe que les radio-interféromètres
dont vous aviez une longue expérience. Je vous dois la dessus l'aveu
d'une rancune difficile à exprimer: au cours de l'année 1971,
alors que j'étais libéré d'une thèse infrarouge
montagnarde et stratosphérique, je pensais me tourner vers des activités
plus riches d'aventure en adaptant au domaine infrarouge les techniques
de la radio-astronomie qui avait "bercé ma jeunesse".
L'idée me vint de faire battre le rayonnement stellaire avec celui
d'un laser afin de pratiquer l'hétérodynage qui pouvait conduire
à la synthèse d'ouverture alors déja bien maîtrisée
en ondes radio. SOIRDETE, ou Synthèse d'Ouverture en Infrarouge
par Détection hETErodyne venait de naître et je m'en ouvrais
à mon collègue Pierre Léna qui me transmit alors la
description du projet similaire que vous formiez. Quel soutien!... même
si ma première approche faisait fi du bruit photonique! C'est ainsi
que cautionné par un concurrent si sérieux je m'engageais,
hélas, dans 13 années d'un combat à l'issue douteuse
contre des photons récalcitrants qui refusèrent longtemps
de se plier à mes injonctions.
Pour finir, ce fut très simplement qu'ils acceptèrent
d'interférer directement, sans l'intermédiaire du laser oscillateur
local incontournable en radiofréquences; je venais de quitter sans
le savoir le camp des radioastronomes pour rejoindre celui des optoastronomes.
Cependant, je vous déléguais mon fils aîné,
tout frais sorti de "Sup Optique" pour qu'il m'explique quel
tour de main était le vôtre pour apprivoiser ces rayonnements,
mais il était encore trop tôt. Je lui succédais alors
et vous m'accueilliez avec chaleur dans votre équipe où je
rencontrais un autre francais qui, ô coincidence étrange,
se trouvait être le petit neveu de l'astronome Fantapié qui
travaillait à l'Observatoire de Nice... en 1936. C'est peut-être
faire remonter un peu loin la collaboration "France-Berkeley".
Toujours est-il que depuis cette époque les liens tissés
par la synthèse d'ouverture en infrarouge et la richesse de votre
accueil ont attiré plusieurs jeunes chercheurs du Département
Fresnel de l'Observatoire de la Côte d'Azur dans votre laboratoire
et surtout à l'Observatoire du Mont Wilson. Vous y avez installé
ISI, votre "Infrared Spatial Interferometer" juste à coté
du vénérable 2m 50 désormais au repos mais qui, jusqu'en
1937, vit se développer les prestigieuses expériences d'interférométrie
spatiale de Michelson. On rappellera cependant que celles-ci furent précédées
par les observations de même nature que Stefan pratiqua tout près
d'ici, à l'Observatoire de Marseille. La coopération était
déja en route puisque Michelson lui rendit visite à la "Belle
Epoque". Mais je m'égare un peu loin du coté des grands
ancêtres et j'aimerais bien ne pas remonter jusqu'à Lafayette
et l'Amiral de Grasse (On saluera son château natal en montant demain
au Calern).
Revenons donc au temps présent en souhaitant que les
structures se maintiennent qui permettent aux chercheurs du Département
Fresnel de se rendre en Californie d'où ils rapportent à
chaque fois des résultats qui sollicitent l'imagination de nos théoriciens
les plus imaginatifs. Qu'ils apprennent dans l'ambiance que vous suscitez
quelle est la responsabilité du chercheur, qui parfois devient un
penseur et dont la compétence ou l'expertise sont sollicitées
pour prévenir quelques évolutions néfastes de notre
société technique et pas assez savante, trop peu "sage".
On sait que votre compétence, ou mieux, votre "sagesse",
vous entraînent en de nombreux voyages qui passent, entre autre,
par Moscou et l'Académie Pontificale, ce qui, il y a encore peu
d'années, restait une performance. Quand ces voyages vous entraînent
en France, Madame Townes souvent vous accompagne. Son prénom de
France la prédestinait à aimer notre pays qu'elle fréquenta
pendant ses études au Quartier Latin, y laissant, dit-on, un sillage.
Alors, pour que se maintienne aussi le flux en ce sens, que
des chercheurs de chez vous montent "faire retraite" au désert,
c'est-à dire sur notre site du Plateau de Calern où les étranges
télescopes-boule surprennent tant nos visiteurs. Ces instruments
vont vivre une nouvelle jeunesse grâce au programme REGAIN pimenté
d'infrarouge (on parle alors de RIRE pour Regain d'InfraRougE, car notre
créateur d'acronyme n'est pas encore en panne). Leurs performances
attendues en feront les complices d'ISI dans la recherche indiscrète
des étoiles encoconnées.
Et que se poursuive ce flux d'amitié transatlantique
(ou même transpolaire) que vous avez su créer, qui accompagne
nos échanges scientifiques soutenus par les contrats "France-
Berkeley" de la NSF et du CNRS, dont on souhaite le renouvellement
jusqu'à ce que soient au moins dévoilés les mystères
du coeur de la Galaxie.
Jean GAY
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